Esther
Tout comme le livre de Judith, le livre d'Esther se présente comme un roman édifiant. Le cadre historique du récit est celui de la période perse, c'est à dire après la victoire des Perses sur les Babyloniens. Cette victoire a permis le retour d'exil, mais tous les Juifs déportés à Babylone ne sont pas rentrés à Jérusalem. Nombre d'entre-eux sont restés en Mésopotamie. L'héroïne du récit appartient à ces Juifs de la diaspora (la "dispersion") établis à Suse. Remarquée par l'empereur des Perses, elle devient la première épouse après la répudiation de la reine Vashti.
Devenue reine des Perses, Esther va pouvoir oeuvrer afin de garder son peuple dont le statut demeure précaire. Un ministre nommé Aman désire en effet éliminer la communauté juive qui, de son point de vue, ne le respecte pas suffisamment. Le roi lui donne l'autorisation de préparer le massacre des Juifs, mais la reine Esther, forte de son pouvoir de séduction auprès du roi, va réussir à retarder l'échéance. Lors d'un grand banquet qu'elle a elle-même organisé, elle fait tomber Aman dans un piège et le roi est alors convaincu de sa félonie. Une fois Aman exécuté, l'oncle d'Esther, Mardochée, hérite des biens du traître. Esther consolide la communauté juive en obtenant du roi qu'elle ait le droit de se défendre si on l'attaque. Ces derniers vont ainsi pouvoir assassiner toute le clan d'Aman sans encourir la fureur royale. Ce triomphe sera ensuite commémoré dans la fête des Pourim.
Esther se présente comme une réponse à l'intégration des Juifs au milieu des nations païennes qui les hébergent. Bien que juive, elle devient reine des Perses et elle vit suivant la coutume des Perses, notamment en organisant des festins sans apparemment se soucier des interdits alimentaires ou de la souillure contractée au contact des païens. En ce sens, elle apparaît comme une "anti-Judith". Le message du livre d'Esther est à destination aussi bien des Juifs que des païens. Chacun tirera bénéfice à vivre ensemble. Grâce à Esther, la communauté juive est sauvée, mais le roi perse lui est également redevable d'avoir révélé la traîtrise de son mauvais ministre.
Esther est un personnage finalement très proche du patriarche Joseph. Esther représente le judaïsme implanté en Mésopotamie, tout comme Joseph représente le judaïsme implanté en Egypte.
Joseph est vendu aux Egyptiens et arrive dans ce pays comme esclave. | Esther est une fille de la déportation, descendante de ces Juifs arrivés à Babylone comme prisonniers de guerre. |
Joseph devient vizir de Pharaon. | Esther devient reine des Perses. |
Joseph vit comme un Egyptien (il possède notamment un bol de divination, accessoire rigoureusement interdit par la Loi, mais usuel pour un personnage de cette importance au sein de l'administration égyptienne). | Esther vit comme une Perse. Elle organise des banquets et tient son rang à la cour sans se préoccuper d'interdits alimentaires. |
Joseph sauve l'Egypte de la famine, et il accroît la richesse du Pharaon qui le protège. | Esther sauve le roi des Perses des agissements douteux du ministre Aman. |
Joseph sauve ses frères juifs en leur ouvrant les portes de l'Egypte pour les accueillir lors de la famine. | Esther sauve ses frères juifs en déjouant le complot d'Aman qui visait à leur extermination. |
Le livre d'Esther présente un certain nombre d'additions qui ne figurent que dans le texte grec. Ces additions sont indiquées en couleur dans le plan.
I- Présentation de la situation
- Le songe de Mardochée
- La découverte du complot par Mardochée (située dans le grec tout de suit après le songe)
- Les circonstances qui amènent le roi perse Assuérus (Xerxès) à répudier la reine Vashti (1,1-22)
- Le remplacement de la reine par Esther (2,1-18)
- L'oncle d'Esther, Mardochée, dénonce un complot contre le roi et intervient donc en faveur d'Assuérus (2,19-23)
II- Le complot
- Aman, un important ministre, obtient du roi l'autorisation d'exterminer les Juifs. Il poursuit ainsi de sa haine Mardochée qui refuse de se soumettre à sa tyrannie (3,1-15)
- Après 3,13, le texte grec donne le texte de l'édit royal contre les Juifs
- Mardochée décide Esther à intervenir auprès du roi. Esther hésite à faire cette démarche car, selon la loi en vigueur, elle risque sa vie si le roi de lui accorde pas audience (4,1-17). Ici, le texte grec ajoute une prière de Mardochée et une prière d'Esther.
- Esther invite Aman à un banquet afin de le mettre en confiance (5). Après 5,5, le texte grec indique comment Esther s'y prend pour approcher le roi.
- Le roi ordonne que Mardochée soit dignement récompensé du service autrefois rendu (raconté en 2,19-23). Le roi décide alors qu'on rende les honneurs à Mardochée, et charge (ironie!) Aman de cette mission! Celui-ci, la mort dans l'âme, doit s'exécuter (6)
- Esther organise un second banquet et y invite Aman et le roi. Le roi ayant proposé à Esther de lui donner ce qu'elle désire, celle-ci en profite pour dénoncer la tyrannie d'Aman. Aman, sentant le danger venir, supplie Esther de ne pas lui nuire davantage. Le roi interprète mal l'empressement d'Aman et croit que ce dernier veut violer la reine! La sentence est immédiate: Aman est pendu sur le gibet qu'il avait fait dresser pour Mardochée (7).
- Esther obtient du roi que les Juifs puissent se défendre car Aman a donné des instructions pour agir contre eux (8)
- Texte de l'édit royal.
- Grâce à cette autorisation, les Juifs massacrent leurs ennemis (9,1-19)
III- Célébration de la victoire
- La fête des Pourim est instituée pour commémorer l'événement (9,20-32)
- Mardochée devient un personnage important (10,1-3)
- Interprétation du songe de Mardochée et conclusion.
La date de rédaction est difficile à déterminer. La conclusion du texte grec évoque le règne d'un roi Ptolémée associé à une reine Cléopâtre. Il peut s'agir de Ptolémée VIII (vers -114) ou de Ptolémée XIV (vers -48). Le livre ne peut donc être postérieur à cette date, du moins dans sa version longue en grec. Le deuxième livre des Maccabées signale en 15,36 que l'on fêtait en -160 le "jour de Mardochée", ce qui ne veut pas dire que l'histoire attenante à cette fête ait été complètement rédigée. On peut supposer une rédaction au cours du second siècle, avec des additions grecques plus tardives.
Le livre d'Esther présente une particularité : dans le texte hébreu, il ne comporte aucune mention du Seigneur (seul le texte grec incorpore une prière de Mardochée et d'Esther). Il a donc été considéré par le judaïsme comme un livre profane, une sorte de roman sans valeur religieuse, ce qui a beaucoup freiné son admission dans le canon des Ecritures (c'est à dire la liste des livres reconnus comme inspirés). C'est finalement sa popularité qui a forcé la main aux rabbins du IIème siècle. Les mêmes hésitations se retrouvèrent dans le christianisme, car le Nouveau Testament ne cite jamais le livre d'Esther. Certains Pères de l'Eglise ont proposé de le radier du canon (St Jérôme ne lui accordait pas beaucoup de crédit, et il le repousse au bout de sa traduction latine), mais le concile de Trente (1546) finira par l'admettre définitivement.
Un texte représentatif : le banquet d'Esther fatal à Aman (7,1-10)
1 Le roi et Aman allèrent banqueter chez la reine Esther,2 et ce deuxième jour, pendant le banquet, le roi dit encore à Esther : "Dis-moi ce que tu demandes, reine Esther, c'est accordé d'avance! Dis-moi ce que tu désires; serait-ce la moitié du royaume, c'est chose faite"
3 "Si vraiment j'ai trouvé grâce à tes yeux, ô roi, lui répondit la reine Esther, et si tel est ton bon plaisir, accorde-moi la vie, voilà ma demande, et la vie de mon peuple, voilà mon désir. 4 Car nous sommes livrés, mon peuple et moi, à l'extermination, à la tuerie et à l'anéantissement. Si encore nous avions seulement été livrés comme esclaves ou servantes, je me serais tue. Mais en l'occurrence le persécuteur sera hors d'état de compenser le dommage qui va en résulter pour le roi."
5 Mais Assuérus prit la parole et dit à la reine Esther : "Qui est-ce? Où est l'homme qui a pensé agir ainsi?"
6 Alors Esther : "Le persécuteur, l'ennemi, c'est Aman, c'est ce misérable!"
À la vue du roi et de la reine, Aman fut glacé de terreur. 7 Furieux, le roi se leva et quitta le banquet pour gagner le jardin du palais, cependant qu'Aman demeurait près de la reine Esther pour implorer la grâce de la vie, sentant trop bien que le roi avait décidé sa perte.
8 Quand le roi revint du jardin dans la salle du banquet, il trouva Aman effondré sur le divan où Esther était étendue. "Va-t-il après cela faire violence à la reine chez moi, dans le palais?" S'écria-t-il. À peine le mot était-il sorti de sa bouche qu'un voile fut jeté sur la face d'Aman. 9 Harbona, un des eunuques, dit en présence du roi : "Justement il y a une potence de 50 coudées qu'Aman a fait préparer pour ce Mardochée qui a parlé pour le bien du roi; elle est toute dressée dans sa maison" "Qu'on l'y pende", ordonna le roi. 10 Aman fut donc pendu à la potence dressée par lui pour Mardochée et la colère du roi s'apaisa.