Le livre des Juges
Les Israélites se dispersèrent alors pour regagner chacun sa tribu et son clan, et s'en retournèrent de là chacun dans son héritage. En ce temps-là il n'y avait pas de roi en Israël et chacun faisait ce qui lui semblait bon.
(Jg 21,24-25)
Au sein de la grande section historique qui débute avec l'entrée en Canaan dans le livre de Josué et s'achève avec l'exil à Babylone dans le second livre des Rois, le livre des Juges se présente comme une étape intermédiaire entre deux phases cruciales pour Israël : l'acquisition de la terre et l'accès à la monarchie.
Le livre des Juges apparaît donc comme le "réservoir" dans lequel ont été compilés tous les récits dont le rédacteur pense (à tord ou à raison) qu'ils se sont déroulés avant la période de la monarchie. Ces différents récits sont organisés autour d'une trame narrative assez stéréotypée:
- Israël devient infidèle au Seigneur, en faisant "ce qui est mal aux yeux du Seigneur"
- Le Seigneur punit cette infidélité en suscitant contre Israël un oppresseur (généralement un des pays voisins)
- Israël reconnaît son péché et appelle au secours
- Le Seigneur répond à cet appel en suscitant parmi Israël un juge, véritable chef de guerre qui va réussir, avec l'aide de Dieu, à libérer le peuple
- Le pays connaît alors une plus ou moins longue période de paix.
- Et le cycle recommence...
En hébreu, la racine shaphat à l'origine du mot "juge", possède un double sens :
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Qu'est-ce qu'un juge ?I- Introduction
- Le livre commence par faire le lien avec le livre de Josué en précisant les circonstances de l'établissement des Israélites en Canaan (1,1-2,5).
- Cette section se termine par le récit de la mort de Josué, marquant ainsi la fin de l'époque précédente (2,6-10)
- Puis l'ouvrage présente le résumé de son cadre narratif (2,11-3,6) donnant ainsi une vue d'ensemble sur la période des Juges.
II- L'histoire des Juges
1) Otniel (3,7-11)
2) Ehoud (3,12-30)
3) Chamgar (3,31)
4) Déborah et Baraq (4-5)
- Premier "grand" juge (par la taille du récit qui lui est consacré). Dans ce récit, Israël est confronté à Yabin, un roi cananéen et à son chef de guerre Sisera. Le roi cananéen possède ce qui est alors l'arme de guerre absolue: les chars de combat. Tant et si bien qu'Israël ne peut tenir tête à un pareil adversaire aussi bien équipé.
- En Israël, c'est alors une femme qui assure alors le gouvernement. Déborah est une prophétesse, et c'est elle qui, au nom de Dieu, va appeler Baraq pour prendre la tête des armées d'Israël.
- Avec l'aide de Dieu, Baraq affronte Sisera et remporte la victoire.
- En fuite, Sisera pense trouver refuge dans la tente d'un de ses anciens alliés. Mais, violant toutes les lois de l'hospitalité, l'épouse de cet allié, Yaël, assassine Sisera pendant son sommeil.
- Déborah chante alors un cantique d'action de grâce qui exalte le geste de Yaël au lieu de le condamner. Ce cantique de Déborah est peut-être un des plus anciens textes que la Bible ait conservé (le texte en est d'ailleurs en très mauvais état et pose de grosses difficultés de reconstitution et de traduction).
5) Gédéon et Abimélek (6-9)
- Deuxième grand juge. L'oppresseur d'Israël est alors Madiân (un voisin) qui s'est associé à Amaleq (un autre voisin...) pour mener des opérations de razzia contre Israël. La pression devient si forte qu'elle déstabilise complètement l'économie sédentaire des habitants.
- Gédéon est appelé directement par "l'ange de Yahvé". Après un instant de doute, il commence son activité de juge en détruisant le lieu de culte que son propre père avait érigé en l'honneur du dieu cananéen Baal.
- Mais Gédéon hésite à affronter les Madianites. Il demande coup sur coup deux "preuves" pour s'assurer que Dieu est bien avec lui. Enfin rassuré, avec une troupe réduite au minimum, il réussit par ruse à semer la panique dans le camp ennemi et remporte une victoire décisive.
- Mais Gédéon commet une erreur politique. Il a oublié de convoquer au combat un important clan d'Israël: Ephraïm. Il doit donc calmer leur frustration d'avoir été évincés du combat (et du pillage...)
- Gédéon poursuit alors les Madianites fugitifs qui ont passé le Jourdain. Il en profite pour régler quelques comptes avec une ville qui lui avait autrefois réservé mauvais accueil. La poursuite s'achève avec l'élimination des fuyards.
- Revenu au pays, Gédéon juge Israël, mais de manière problématique. Il se compromet dans un culte idolâtrique et entraîne le peuple à sa suite.
- Après sa mort, certains de ses fils prennent le pouvoir dans la cité-état de Sichem. Un autre de ses fils (né d'une autre mère), Abimélek, décide de conquérir cette ville qu'il estime devoir lui revenir, car sa mère était originaire de Sichem.
- Les habitants de Sichem se laissent convaincre par son argumentation et Abimélek peut organiser l'assassinat de ses demi-frères. Il devient ainsi roi de Sichem, mais très vite la situation se gâte et les relations se tendent avec les anciens de la ville. Ces anciens essayent d'assassiner Abimélek, mais celui-ci a vent de leurs agissements. Avec l'aide d'un traître, Abimélek prend sa propre ville d'assaut et en fait massacrer toute la population. Abimélek poursuit sa compagne répressive contre une localité voisine, mais il meurt au combat (d'une mort jugée infâme à l'époque, tué par une meule lancée par une femme depuis le rempart).
6) Tola (10,1-2)
7) Yaïr (10,3-5)
8) Jephté (10,6-12,7)
- Troisième grand juge. Jephté est le fils d'un chef de clan de Galaad (la partie d'Israël située en Transjordanie) mais sa mère est une prostituée. Il est rejeté par ses demi-frères et devient chef de bande, vivant de pillage.
- Lorsqu'Israël est opprimé par Ammon, les anciens viennent lui demander de mener les opérations militaires. Jephté en profite pour se faire reconnaître par ces hommes qui l'avaient autrefois rejeté.
- Après avoir tenté de vaines négociations avec Ammon, Jephté passe au combat. Afin de s'assurer la victoire, il fait un voeu périlleux: il promet de sacrifier au Seigneur la première personne qui franchira la porte de sa maison (Il s'agit d'un thème narratif très fréquent, que l'on retrouve encore dans nombre de récits folkloriques).
- Jephté remporte le combat, mais le destin lui est cruel: c'est sa propre fille qui sort à sa rencontre. Lié par son voeu, Jephté l'exécutera après lui avoir accordé un délai pour se préparer à la mort.
- Encore une fois, Ephraïm reproche à Jephté de ne pas les avoir convoqués pour le combat. Il s'en suit une guerre civile en Galaad et Ephraïm qui durera jusqu'à la mort de Jephté.
9) Ibçan (12,8-10)
10) Elôn (12,11-12)
11) Abdôn (12,13-15)
12) Samson (13-16)
- Dernier grand juge, et peut-être le plus connu. Samson est un véritable héros de légende (on l'a parfois appelé l'Hercule biblique), caractérisé par une grande force musculaire et une très faible puissance intellectuelle.
- La naissance de Samson est par elle-même miraculeuse. Sa mère, stérile, voit sa prière exaucée et voue l'enfant au Seigneur: il deviendra un nazir. Il devra donc s'abstenir de boire de l'alcool et surtout (dans ce récit) de se couper les cheveux. Son succès en dépend.
- L'adversaire d'Israël est alors la Philistie (les Philistins sont un peuple venu de la mer qui s'est installé dans la région de Gaza). Samson harcèle et défie les Philistins, en tue des milliers grâce à sa force extraordinaire.
- Pour le piéger et connaître son secret, les Philistins envoient en sa rencontre Dalila. Cette dernière séduit sans peine Samson et parvient après quelque temps à lui extorquer son secret. Pendant son sommeil, elle lui rase la tête. Ayant ainsi (bien malgré lui...) rompu son voeu de nazir, Samson perd sa force et les Philistins peuvent le capturer.
- Samson est aveuglé puis réduit en esclavage par les Philistins. Mais ceux-ci n'ont pas pensé que ses cheveux allaient finir par repousser! Et avec ses cheveux, Samson retrouve sa force. Dans un dernier geste héroïque, il se suicide en faisant s'effondrer sur lui et sur tous les convives le temple philistin où il était exhibé.
III- Appendices
- L'histoire de la migration de la tribu de Dan, qui n'a pas pu s'implanter dans son territoire d'origine et a du traverser Canaan de long en large avant de trouver un lieu de repos (17-18)
- L'histoire d'un crime commis par un membre de la tribu de Benjamin. Les représailles vont alors entraîner la quasi-extinction de cette tribu (19-21)
Les plus anciens récits du livre des Juges sont des traditions conservées par les clans et les tribus au sujet de glorieux ancêtres ayant défrayé la chronique. Comme tous les récits de ce type, ceux-ci ont fini par s'amplifier au fil des siècles ! Une première compilation de certains de ces récits a peut-être eu lieu assez tôt dans l'Israël du Nord. Les héros en provenance du Sud se sont ajoutés à l'histoire ultérieurement.
Encore une fois, c'est la rédaction deutéronomiste qui a assemblé les récits en donnant au livre sa trame narrative systématique. Les appendices ont été ajoutés pendant ou après l'exil. En fait, il ne faut pas lire le livre des Juges comme une histoire continue. Certains juges sont contemporains. L'un d'entre-eux n'est même probablement pas même hébreu (Shamgar, le fils d'Anat). L'objectif du livre reste essentiellement théologique: montrer comment l'éloignement du Seigneur entraîne l'oppression, alors que le retour au Seigneur permet la libération. Le livre des Juges tend à établir un contraste entre ces héros charismatiques temporaires et la période royale marquée par la stabilité au pouvoir de rois souvent peu charismatiques et incompétents.
Un texte représentatif : Déborah et Baraq (4)
Le péché d'Israël
Jg 4,1 Après la mort d'Éhud les Israélites recommencèrent à faire ce qui est mal aux yeux de Yahvé,
La sanction
2 et Yahvé les livra à Yabîn, roi de Canaan, qui régnait à Haçor. Le chef de son armée était Sisera, qui habitait à Haroshèt-ha-Goyim. 3 Alors les Israélites poussèrent des gémissements vers Yahvé. Car Yabîn avait neuf cents chars de fer et il avait opprimé durement les Israélites pendant vingt ans.
La désignation du juge
4 En ce temps-là Débora, une prophétesse, femme de Lappidot, jugeait Israël. 5 Elle siégeait sous le palmier de Débora entre Rama et Béthel, dans la montagne d'Éphraïm, et les Israélites allaient vers elle pour obtenir justice. 6 Elle envoya chercher Baraq, fils d'Abinoam de Qédèsh en Nephtali et lui dit : " Yahvé, Dieu d'Israël, n'a-t-il pas ordonné : "Va, marche vers le mont Tabor et prends avec toi dix mille hommes des fils de Nephtali et des fils de Zabulon. 7 J'attirerai vers toi au torrent du Qishôn Sisera, le chef de l'armée de Yabîn, avec ses chars et ses troupes, et je le livrerai entre tes mains" ? " 8 Baraq lui répondit : " Si tu viens avec moi, j'irai, mais si tu ne viens pas avec moi, je n'irai pas, car je ne sais pas en quel jour l'Ange de Yahvé me donnera le succès. " - 9 " J'irai donc avec toi, lui dit-elle; seulement, dans la voie où tu marches, l'honneur ne sera pas pour toi, car c'est entre les mains d'une femme que Yahvé livrera Sisera. " Alors Débora se leva et, avec Baraq, elle se rendit à Qédesh.
La victoire
10 Baraq convoqua Zabulon et Nephtali à Qédesh. Dix mille hommes le suivirent et Débora monta avec lui. 11 Héber, le Qénite, s'était séparé de la tribu de Qayîn et du clan des fils de Hobab, beau-père de Moïse; il avait planté sa tente près du chêne de Çaanannim, non loin de Qédesh. 12 On annonça à Sisera que Baraq, fils d'Abinoam, était monté sur le mont Tabor. 13 Sisera convoqua tous ses chars, neuf cents chars de fer, et toutes les troupes qu'il avait, de Haroshèt-ha-Goyim au torrent du Qishôn. 14 Débora dit à Baraq : " Lève-toi, car voici le jour où Yahvé a livré Sisera entre tes mains. Oui! Yahvé ne marche-t-il pas devant toi ? " Et Baraq descendit du mont Tabor avec dix mille hommes derrière lui. 15 Yahvé frappa de panique Sisera, tous ses chars et toute son armée devant Baraq. Sisera, descendant de son char, s'enfuit à pied. 16 Baraq poursuivit les chars et l'armée jusqu'à Haroshèt-ha-Goyim. Toute l'armée de Sisera tomba sous le tranchant de l'épée et pas un homme n'échappa.
La triste fin de Sisera
17 Sisera cependant s'enfuyait à pied dans la direction de la tente de Yaèl, femme de Héber le Qénite, car la paix régnait entre Yabîn, roi de Haçor, et la maison de Héber le Qénite. 18 Yaèl, sortant au-devant de Sisera, lui dit : " Arrête-toi, Monseigneur, arrête-toi chez moi. Ne crains rien! " Il s'arrêta chez elle sous la tente et elle le recouvrit d'un tapis. 19 Il lui dit : " Donne-moi à boire un peu d'eau, je te prie, car j'ai soif. " Elle ouvrit l'outre où était le lait, le fit boire et le recouvrit de nouveau. 20 Il lui dit : " Tiens-toi à l'entrée de la tente, et si quelqu'un vient, t'interroge et dit : "Y a-t-il un homme ici ?" tu répondras : "Non". " 21 Mais Yaèl, femme de Héber, prit un piquet de la tente, saisit un marteau dans sa main et, s'approchant de lui doucement, elle lui enfonça dans la tempe le piquet, qui se planta en terre. Il dormait profondément, épuisé de fatigue, c'est ainsi qu'il mourut. 22 Et voici que Baraq survint, poursuivant Sisera. Yaèl sortit au-devant de lui : " Viens, lui dit-elle, et je te ferai voir l'homme que tu cherches. " Il entra chez elle : Sisera gisait mort, le piquet dans la tempe. 23 Dieu humilia donc en ce jour Yabîn, roi de Canaan, devant les Israélites. 24 La main des Israélites s'appesantit de plus en plus durement sur Yabîn, roi de Canaan, jusqu'à ce qu'ils aient supprimé Yabîn, roi de Canaan.
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