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Le problème synoptique
Le terme « synoptique » a été introduit par un exégète allemand, Griesbach, en 1776. Le mot vient d'un terme grec qui signifie |
Les récits des trois évangiles synoptiques se présentent avec deux caractéristiques communes :
Si on examine la situation évangile par évangile, on observe les éléments suivants :
On constate donc immédiatement sur ces quelques chiffres :
Aborder le problème synoptique, c’est essayer de comprendre comment on en est arrivé là. L’idée est de trouver une explication pouvant rendre aussi bien compte des ressemblances que des divergences entre les évangiles. Vaste tâche qui n’a pas encore trouvé de solution définitive… Mais il est toutefois possible de formuler quelques hypothèse!
Cette famille d’hypothèses se caractérise par une absence de contact entre les évangiles. Chacun d’eux aurait procédé d’un remaniement autonome de sources préexistantes.
L’évangile primitif
La plus ancienne piste (Lessing, vers 1780) part de l’hypothèse d’un « évangile primitif » unique, qui aurait servi de source aux trois synoptiques. Lessing pensait à l’évangile des Hébreux ou l’évangile des Nazaréens dont parlent les Pères de l’Eglise. Cet évangile aurait contenu l’ensemble des matériaux et chaque évangéliste y aurait librement choisi ce qu’il voulait incorporer ou non à son évangile.
Cette hypothèse permet évidemment d’expliquer les ressemblances, mais elle échoue complètement à expliquer les divergences. On ne peut comprendre quels critères auraient amené l’évangéliste à exclure tel ou tel passage. L'hypothèse n'explique pas pourquoi les évangélistes auraient remanié profondément l’ordre des péricopes, ni pourquoi Mt et Lc possèdent tous ces versets que n’a pas Mc.Les fragments
Au lieu de postuler l’existence d’un évangile primitif structuré, cette hypothèse part de l’approche inverse : il n’existait au moment de la composition des synoptiques aucun récit suivi, mais seulement une foule de petites unités (récits de miracles, paroles de Jésus…) que les évangélistes auraient recueillies indépendamment.
Le point de départ de la théorie est certainement exact, et il y a de nombreux indices indiquant que de telles collections de paroles ou de petits récits ont effectivement existées à l’origine. Mais la théorie des fragments ne peut expliquer pourquoi les synoptiques aboutissent à la même structure globale de leur récit, au même enchaînement de péricopes parfois sur de longs passages. Autrement dit, à l’inverse de la précédente, cette hypothèse explique bien les divergences, mais guère les ressemblances.
Ces hypothèses, contrairement aux précédentes, supposent un contact entre les évangiles, et cherchent donc à établir la généalogie des textes, autrement dit, qui a servi de source à qui.
Hypothèses sans source extra évangélique
- Soit un évangile a servi de source aux deux autres :
Ces théories simplistes ne peuvent expliquer les matériaux communs à deux évangiles et absents du troisième qui serait pourtant la source commune. ![]()
- Soit un évangile procède de la fusion de deux autres :
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Ces théories ne peuvent expliquer la présence d’éléments communs dans les deux évangiles sources et qui ne figurent pas dans l’évangile fusionné.
- Les dépendances mutuelles :
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L’hypothèse n°2 est la plus célèbre, issue de l’approche de l’exégète Griesbach (1745-1812), celui-là même qui a inventé le terme « synoptique ». Cette hypothèse, déjà plus élaboré, explique bien les contacts entre évangiles, notamment la « double tradition » (Lc-Mt), le texte de Lc dérivant de Mt. Par contre, on ne comprend pas du tout pourquoi Lc a déconstruit de grandes sections matthéennes, comme le sermon sur la montagne. On ne comprend pas non plus pourquoi il a changé l’ordre de nombreuses péricope. Ni pourquoi Mc a abandonné tant de matériaux ? Qui plus est, un certain nombre d’indices montrent que Mc peut posséder un texte plus archaïque que Lc ou Mt.
Avec intervention de sources extra évangéliques
- Le modèle des deux sources
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Ce modèle apparaît vers la fin du 19ème siècle et il va rapidement s’imposer en raison de sa simplicité et de son efficacité. Il présente l’évangile de Mc comme source commune à Mt et à Lc. A cette source, il en ajoute une autre, appelée la source Q (de l’allemand « Quelle », qui signifie précisément « source ». Si c’était un exégète français qui avait imaginé ce système, on parlerait de la source S…) De plus, Mt et Lc ont puisé dans des sources qui leur étaient propres.
Cette hypothèse permet d’expliquer :
Par ailleurs :
- La structure générale du récit commune aux trois synoptiques : Mt et Lc reprennent l’ordre général de Mc. En revanche, ils diffèrent profondément quand ils abandonnent l’ordre marcien : c’est le cas pour les évangiles de l’enfance, absents de Mc, et totalement différents chez Mt et Lc.
- La succession des péricopes : Mt et Lc peuvent souvent abandonner l’ordre de Mc mais ils ne présentent jamais un enchaînement de péricopes communes indépendamment de Mc.
- On comprend pourquoi l’essentiel de la matière marcienne se retrouve chez Mt. En revanche, Lc incorpore moins de matériaux marciens. Cela suppose que Lc connaisse une source parallèle à Mc qu’il préfère utiliser à Mc pour des péricopes semblables.
- Le style de Mc est très commun, peu agréable à lire pour un lecteur connaissant bien la langue grecque. Les corrections de Mt et Lc vont toujours dans le sens d’une amélioration du style de Mc.
- Le texte de Mc n’est pratiquement jamais abrégé chez Mt ou Lc, mais, en revanche, il est fréquemment expliqué.
La source Q est donc, dans cette théorie, la source à laquelle puisent Mt et Lc pour les 235 versets qu’ils ont en commun et que Mc n’a pas. Il s’agit essentiellement de paroles de Jésus et peu de récits. On s’accorde à penser que les deux évangélistes ont reçu le texte de Q sous forme écrite en grec. D’une manière générale, Mt garde assez littéralement le texte de Q alors que Lc le réécrit en meilleur grec. On suppose en effet une source écrite et non orale car l’ordre des versets empruntés à Q se suit souvent sur de longues séquences. Mt a généralement pioché dans la source Q et recomposé les matériaux selon l’ordre thématique de son évangile, alors que Lc a inséré des sections entières de Q telles qu’il les a reçues. On se base donc plutôt sur Lc pour reconstituer l’ordre des péricopes de Q.
Il y a un autre argument très fort en faveur de l’existence de Q. Ce sont les doublets communs : des péricopes qui figurent deux fois dans un même évangile, une fois selon le texte de Mc, et une fois selon le texte de Q commun à Mt et Lc.
Il est par contre très difficile de reconstruire la source Q que l’on ne connaît que par Mt et Lc. Diverses entreprises ont cependant été menées et ont produit des résultats parfois assez divergents.
Cette théorie suppose également que Mt et Lc ont bénéficiés de sources propres pour expliquer les versets qui n’appartiennent qu’à eux, comme les évangiles de l’enfance par ex. On ne peut affirmer s’il s’agit de documents déjà écrits ou de récits véhiculés sous forme orale.Il existe cependant des faiblesses à cette théorie des deux sources sous sa forme simple :
- Elle échoue à expliquer les accords Mt / Lc contre Mc dans diverses péricopes de la triple tradition, car cette théorie ignore tout contact entre Mt et Lc.
- De plus, elle échoue à expliquer les « omissions » de Lc : pourquoi cet évangile abandonne-t-il tant de textes de Mc alors que Mt les a conservés ?
- Et surtout, elle échoue à expliquer les leçons confluentes de Mc, c’est à dire les cas où Mc combine le texte de Mt et de Lc.
- Les deux sources au sein d’un processus généalogique complexe
Sur la base de la théorie des deux sources, plusieurs auteurs ont tenté d’améliorer l’hypothèse pour mieux cadrer avec les faits.
Ainsi, pratiquement toutes les approches modernes considèrent que les états finaux des évangiles ont été précédés par des étapes rédactionnelles intermédiaires. Ces schémas introduisent donc des « proto » Mc ou des Mt « intermédiaires ». Les leçons convergentes de Mc sont ainsi facilement expliquées par le schéma suivant :
La question qui se pose alors est l’origine des étapes intermédiaires des évangiles. Chaque auteur y est allé de ses suppositions, mais généralement, ces évangiles intermédiaires sont considérés comme résultat de la fusion de documents préexistants. Par ex, P.E. Boismard suppose 3 documents à l’origine du Mc intermédiaire, l’un de ces document ayant également servi de base au Mt intermédiaire, et un autre au Lc intermédiaire (appelé « proto-Luc » dans le texte de Boismard)
En fin de compte, on peut retenir :
- Qu’aucun système simple ne peut rendre compte de la complexité des rapports entre les évangiles.
- Que les étapes initiales de la constitution des documents écrits nous échappe en grande part, faute de documentation.
- Que le processus d’élaboration des évangiles s’est étalé dans le temps et a comporté plusieurs étapes de relectures et d’harmonisation entre les documents.
Pour poursuivre l'étude: